Incursions d’un inactuel III
XXIV.
Vor der Tragödie feiert das Kriegerische in unserer Seele seine Saturnalien; wer Leid gewohnt ist, wer Leid aufsucht, der heroische Mensch preist mit der Tragödie sein Dasein, — ihm allein kredenzt der Tragiker den Trunk dieser süssesten Grausamkeit. — A.S.N.
Devant la tragédie, le martial célèbre en notre âme ses saturnales ; celui qui est habitué à la douleur, celui qui consulte la douleur, l’humain héroïque loue son existence avec la tragédie, — à lui seul, le tragique sert le breuvage de la plus douce cruauté. — A.D.T.
Face à la tragédie, seul le guerrier célèbre la vie, il danse en notre âme, ses saturnales s’élèvent, et nous entrons heureux en sa transe. Celui qui entend la douleur, celui qui accepte le dialogue avec la douleur, celui qui tire un enseignement de la douleur, celui-là s’érige en héros. Il existe par la tragédie, et son existence en fait démonstration — au tragique, à lui seul la noblesse, lui seul se fait aristocrate. Le breuvage du tragique : l’ambroisie de la plus douce cruauté. A.D.M.
Le goût amer, les saturnales au loin. — L’horreur que ce goût laisse en souvenir, et la réalité inaccessible. — Vague après vague, comme la grève. — Des esclaves recouvrent soudain la parole, franche des brimades hiérarchiques. — L’engloutissement par la pâleur hivernale, la réjouissance qui renverse les échelles sociales. — Du vert dans le blanchâtre, la chaux qui empourpre l’échafaud. — La révolution comme le retour qu’elle représente. — L’annonce du cycle brisé, l’architecture des rotondes nouvelles. — Le temps ne déroge pas à sa révolution. — Joyeux de ce qui arrive, et de le faire arriver à nouveau. — Saisonnière l’heure qui nous suggère une conduite saine, et quoi de plus pour nous voir dégénérer en morale. — Faire de la renaissance un mode d’être. — Un temps des libérations où celui qui sert est servi, un berceau pour celui qui se laisse crucifier. — L’apathique avant même l’espoir du solstice. — Mais la morale ne dure qu’un temps. — Et le soleil invaincu, ses chevaux de trait. — Qu’ils soient célébrations ou misères, misères d’abord. — Des célébrations et des misères qui n’honorent que les valeurs de ceux qui les préparent. — Le goût amer, toujours, les saturnales qui effacent leur durée. — De n’être que suggestion du renversement. — L’être du rien, quelques flammèches d’après. — Ne jamais aboutir à la durée. — Renverser la tête, comme une danse qui va. — Comme l’espoir devenu anesthésie pour l’esclave qui vérifie la longueur de ses chaînes. — Le goût amer dans la bouche de l’esclave. — Bouche sèche, et des lendemains de l’asservissement recouvré. — Le bonheur des contraintes. — L’esclave en oublie son reflet. — Il n’est plus l’esclave qui sait, puisqu’il n’a plus de figure. — Avec les maîtres, il s’effraie. — Du chahut ou de notre chute. — Nous renversons la table qu’il a soigneusement dressée. — Nos haillons pour émietter ses chaînes. — Il s’offusque des miettes. — L’effroi face à ce que vont penser les maîtres. — Simulacres sans pensées. — Maîtres et esclaves. — Tous nous abhorrent, mais qui nous embrasse. — De l’amertume pour poudrer l’horreur. — Un creuset de rires pour battre le rappel.
XXVI.
In allem Reden liegt ein Gran Verachtung. Die Sprache, scheint es, ist nur für Durchschnittliches, Mittleres, Mittheilsames erfunden. Mit der Sprache vulgarisirt sich bereits der Sprechende. — Aus einer Moral für Taubstumme und andere Philosophen. A.S.N.
Dans tout discours se trouve une touche de mépris. Le langage, paraît-il, fut seulement inventé pour le moyen, le médian, le communicatif. Avec le langage, se vulgarise déjà le parlant. — Tiré d’une morale pour sourds-muets et autres philosophes. A.D.T.
Et une touche de mépris, et touche le discours, le langage se divise, lui qui ne s’en tient à la vérité. Sans le mépris du langage en le langage, ne se produisent que fugues d’esprit et subterfuges pour figures sans style — l’invention pour communiquer l’ignorance et communier en l’ignoble. Avec le langage, tous parlent, nul n’entend. Quelle présence du dialogue. Quelle omniprésence du vulgaire. Sourds-muets et autres philosophes, bien en aise de partager avec quelques dévots grammaticaux. A.D.M.
« Qui parle s’égare », un trait qui devrait être gravé sur le fronton de chaque assemblée. Tant d’égarement, si peu d’errance dans le verbe. Et les hâbleurs qui ont l’audace de croire qu’ils gouvernent nos vagabondages. Derrière la docilité et le tracas, face à ces matamores auxquels des démocrates ennuyés délèguent quelques pouvoirs, sommes-nous réellement des ombres qui ne se remembrent jamais décembre et ses brefs affranchissements ? Sommes-nous réellement notre croyance ? Sommes-nous réellement la dégénérescence du silence en une taciturne aigreur ? L’acquiescement à l’enchevêtrement de mondes gouvernés ? Sommes-nous réellement le réel ? Sommes-nous réellement avec eux la composante d’un système ? Parce qu’un maître médiocre a besoin d’un esclave médiocre ? — L’alarme de nos grimaces. Des spectres en nos rides. Nous sommes notre propre vertu, parce que nous sommes nos propres tyrannies. Et que nous nous abolissons. La palabre de nos gesticulations contre le bavardage des politesses. Tyrannie frappée contre démocratie simulée. Si nous voulons redonner à nos cités un peu de grandeur, nous devons d’abord nous redonner un peu de grandeur. Il nous faut donc être tout petits. Et raser nos cités. Devenir la commune de nos grimaces. De l’éclat et jamais de grandeur. Aucune délégation mais des gesticulations. La création directe : le souffle métamorphique sur ce qui se veut réel. Un néant inaltérable, la positivité son être, et l’évidence : nous sommes à la fois maîtres et serviteurs, guillotines et bassines.
XXIX.
Aus einer Doctor-Promotion. — »Was ist die Aufgabe alles höheren Schulwesens?« — Aus dem Menschen eine Maschine zu machen. — »Was ist das Mittel dazu?« — Er muss lernen, sich langweilen. — A.S.N.
Tiré d’une soutenance de thèse de doctorat. — « Quel est le devoir de tout enseignement supérieur ? » — Faire de l’humain une machine. — « Quel est le moyen pour cela ? » — Il doit apprendre à s’ennuyer. — A.D.T.
Intitulé de la thèse de doctorat : « Analyses transversales de l’impossibilité de l’énonciation. » Sous-titre : « Machinations pour machiniste qui mâche douloureusement mais savamment. » Remerciements : « Ô mon maître, moi l’esclave vous implore d’accepter mon éternelle dévotion, etc. » Délibérations : bâillements et discours égocentriques. Mention : summa cum lassitudine. Carrière : histrion sans histoire, vaudeville sans entracte, bâillements à nouveau, discours égocentriques bis. Résultat : prestige, chapeau bas chez les bourgeois, avis de décès accompagné du titre, Docteur ès Banalités, honneur pour les trépassés. La nature : indifférence des asticots, indifférence des mémoires. Conclusion : une vie réussie. A.D.M.
Que propulse en vrai l’engrenage auquel ils veulent nous clouer ? Partout de mêmes rouages incapables d’oisiveté. À quoi bon l’effort ? Derrière l’atonie, la servilité. Et derrière la servilité, l’ankylose. Passives, de doctes personnes entravent notre active oisiveté. Nous traversons intacts l’abattement. Peut-être est-ce la raison pour laquelle ils veulent nous crucifier à leur industrie mourante : la folie salutaire comme pour leur idole. Des clous et des croix. Ils ne prennent acte de rien. Produisent-ils au-delà de la reproduction des gestes et des schémas ? De l’éther seulement pour éthérisation. Nous aussi, nous fûmes, mais rouages qui gâtent l’engrenage automatique en engrenage autonome. De machinales machines s’attachent à l’ordinaire vidé jusqu’à la moelle de ses humeurs. Aucune réaction n’a lieu à la suite de nos facéties. Tout indique qu’il ne reste plus qu’à se laisser emmurer contre l’établi. Nous aussi parmi le fruste, l’usité, le fatigué. Mais jamais en tant que frustes, usités, fatigués, en tant que trompeurs, monstrueux, agités. Nous les sabots, nous les mauvaises gueules. Qui dit que la machine est le problème jalouse la capacité à se répéter. La machine autonome se contente-t-elle du machinal ? L’ennemi de notre ennemi est… Nous voulons être les ennemis de nos ennemis — que se soulèvent ceux qui le peuvent encore.
XXIX bis.
»Wer ist der vollkommene Mensch?« — Der Staats-Beamte. — »Welche Philosophie giebt die höchste Formel für den Staats-Beamten?« — Die Kant’s: der Staats-Beamte als Ding an sich zum Richter gesetzt über den Staats-Beamten als Erscheinung. — A.S.N.
« Qui est le parfait humain ? » — Le fonctionnaire d’État. — « Quelle philosophie donne la plus haute formule au fonctionnaire d’État ? » — Celle de Kant : le fonctionnaire d’État en tant que chose en soi posée comme juge du fonctionnaire d’État en tant que phénomène. — A.D.T.
Vous cherchez un humain parfaitement fonctionnel ? Cherchez le fonctionnaire ! Vous cherchez la philosophie de cet humain parfaitement fonctionnel ? Cherchez la pratique de la raison kantienne : la pure apparence du fonctionnaire agissant selon sa maxime, qui macère suffisamment en lui pour qu’il n’ait d’autre choix que de se l’imposer en tant que loi universelle. A.D.M.
Fonctionnaire, matricule blafard, fonction cahin-caha, cahot en écho au chaos : son lustre. Représentation du soi et répétition de l’affadissement. Quelle image en garder ? Représenter, répéter et haïr. Pourtant l’éternel rebond de la haine. Parce qu’une haine de soi vaut mieux qu’une haine en soi, mais avec les manières des taiseux. La rumination démontre le troupeau. Ne pas s’avouer la haine de soi. La mastiquer longtemps. La maquiller en haine contre l’autre. Contre celui qui fonctionne à rebours des mécaniques de l’ordre. Autre optique sur le fonctionnaire : la servilité aux maîtres les plus décadents. L’acariâtre en substrat. Assez pleutre pour mâcher à l’unisson de la rumination universelle. La destination du fonctionnaire : la dérobade aux marges. La retraite au sein du déclin. Abhorrer les lisières, méconnaître les sous-bois. La destination de la retraite : loin de la fosse commune, la concession et le temps du cercueil subventionné au sein d’un cimetière bien rangé. Des perspectives sans accrocs. Luxe et volupté. Nulle part le glauque ne s’arrange mieux que sur le fonctionnariat. Rancunier du glauque, l’atone, ton sur ton. Ô la belle vie, la belle alliance des tonalités. Les bouviers n’ont pas à se tracasser, la bête est bonne, elle va à sa perte, paisible, et paie ses impôts.